Commissaires : Marie-Eve Beaupré, avec la collaboration de Camille Bédard et d’Alexandre Major-Forest
Cette exposition prend naissance dans le Québec des années soixante et soixante-dix. Elle est brodée de matériaux historiques et d’archives familiales, d’œuvres conçues à partir de lettres manuscrites, de textes dactylographiés, d’albums de photographies, d’affiches et de publications composant les foisonnantes archives personnelles de deux hommes devenus pères au cours de ces décennies et dont les positions politiques furent dissonantes.
Le projet découle d’une invitation faite à Nadia Myre, une brillante artiste multidisciplinaire née d’une mère algonquine de la Première Nation Kitigan Zibi Anishinabeg et d’un père québécois dont la vie professionnelle culturelle et intellectuelle fut alimentée par l’engagement social et politique. Au croisement de leur héritage, de leur culture et de leurs valeurs s’est développée, avec discernement et sensibilité, la démarche de Nadia, qui aborde depuis plus de vingt ans d’importantes questions liées à l’identité, au langage, aux politiques d’appartenance et à la résilience. Audacieuse et désireuse de créer de nouvelles œuvres puisant dans les archives léguées par son père après son décès, elle fait entrer à la Fondation Guido Molinari autant de boites d’archives que de questions sociales et politiques. Son geste, déjà, en soi, est politique.
La trame narrative de l’exposition positionne deux visions du nationalisme en tension à l’époque, l’une valorisant un art national basé sur une stylistique aux résonances internationales, et l’autre, un art défini par ses actions publiques et politiques liées aux enjeux des Québécois[1]. Alors que le protagoniste Guido Molinari (1933-2004) se prépare à une consécration internationale en représentant la vitalité créative de la nation canadienne lors de la Biennale de Venise de 1968 – une édition perfusée des contestations, protestations et manifestations de Mai 68 –, le protagoniste Robert Myre (1942-2020), imprimeur, éditeur, journaliste et éducateur syndicaliste, milite pour la réinvention d’une organisation sociale et participe à la conception des publications Poèmes et chants de la résistance, dont les spectacles furent présentés pour venir en aide aux prisonniers politiques et protester contre la Loi sur les mesures de guerre adoptée durant la crise d’Octobre.
Cette exposition est d’abord un projet personnel pour Nadia, qui, comme plusieurs d’entre nous, est dépositaire des archives d’un être cher. De cette responsabilité est née une volonté de recherche et de création nidifiée, avec la distance historique d’une génération, dans le tronc d’une époque agitée par une volonté collectivement affirmée de changements sociétaux et l’avortement d’une révolution.
En réalisant des entretiens et des recherches sur le contexte historique, social et culturel dans lequel a œuvré son père et en retraçant des éléments marquants de l’histoire sociale et culturelle du Québec, l’artiste aborde plusieurs questions historiques fondamentales. Quelles histoires retiendra l’Histoire ? La politique, la paternité, l’abstraction, l’écriture, le combat, la justice, l’anarchie, le pouvoir, le capitalisme, la décolonisation, la résistance et le rituel des repas familiaux figurent sur la table des matières des œuvres et archives réunies.
Proposant de nouveaux récits, définis par certains penseurs[2] en tant que contre-récits, le parti pris de cette exposition a favorisé la création d’œuvres et le partage d’histoires mises en position de résonance et de dissonance avec un corpus d’archives de Robert Myre etde Guido Molinari, qui fut, comme Nadia, professeur à l’Université Concordia. Cette exposition dotée d’une conscience historique souhaite offrir de nouvelles perspectives de réflexion à la fois sur la pratique de Nadia Myre, de Robert Myre et de Guido Molinari.
– Marie-Eve Beaupré
Nadia Myre est une artiste québécoise et autochtone membre de la Première Nation Kitigan Zibi Anishinabeg. Elle est diplômée en arts visuels de l’Université Concordia (2002) où elle enseigne aujourd’hui. Depuis plus de vingt ans, sa pratique est ancrée dans une approche participative visant à nourrir la discussion autour des thèmes de l’identité et des récits de l’héritage des Autochtones et des colonisateurs. Son travail multidisciplinaire tisse des histoires d’appartenance et de résilience, notamment à travers le perlage, l’art vidéo et l’installation.
Robert Myre (1942-2020)
Père de l’artiste Nadia Myre, Robert Myre a orienté sa vie vers l’engagement social et politique. Actif en tant qu’éducateur syndical pour la Confédération des syndicats nationaux (CSN) et la Fédération des travailleurs du Québec (FTQ), il est aussi journaliste aux quotidiens Le Soleil et La Patrie. À partir de 1968, il se consacre à l’imprimerie et à l’édition. Il sera notamment éditeur du journal Jusqu’au cou, organe officiel des comités de citoyens du centre-ville de Montréal, du journal underground Le Voyage et de la revue Participation pour les animateurs sociaux. Éditeur pour Les Éditions K, Parti pris et La Barre du jour, il participe à la mise sur pied de l’imprimerie Village Carré Saint-Louis.
Guido Molinari (1933-2004)
Considéré comme l’un des ambassadeurs de l’art contemporain canadien, Guido Molinari a contribué au développement de la peinture non figurative. Peintre, professeur, poète, critique et théoricien de l’art, il participe aux débats soulevant la question fondamentale de l’abstraction et développe une réflexion sur la spécificité de l’espace pictural. En 1955, il fonde avec Fernande Saint-Martin la galerie L’Actuelle à Montréal, vouée exclusivement à l’art non figuratif. En 1965, il est présent à The Responsive Eye, la grande exposition du Museum of Modern Art de New York, avant de représenter le Canada à la 34e Biennale de Venise, en 1968, où il remporte le prix important de la David E. Bright Foundation.
[1] Normand Thériault, en entrevue avec Rose-Marie Arbour au sujet des artistes présentés lors de l’exposition Québec 75 au Musée d’art contemporain de Montréal, du 16 octobre au 23 novembre 1975.
[2] Guy Sioui Durand au sujet des prémisses de l’exposition, dont il aborde les problématiques lors d’une conversation publique avec Nadia Myre le 2 novembre 2024.