Le galeriste Jean-Pierre Valentin, qui a pris l’habitude d’ouvrir chacune de ses saisons avec une exposition de prestige, a choisi l’œuvre de Guido Molinari pour en faire l’objet cet automne. Il réunira des toiles et des dessins réalisés entre 1955 et 1959, qui constituent, en outre de leur valeur intrinsèque, une irremplaçable introduction à l’œuvre des années soixante et suivantes.
Guido Molinari 1955-1959
Au milieu des années cinquante, Guido Molinari n’est plus seulement le fougueux dadaïste qui n’a pas encore vingt ans, dont les tableaux réalisés dans le noir donnent aux Automatistes, trois ans après Refus Global, des leçons… d’automatisme véritable, et que Claude Gauvreau décrit comme « un prophète de la liberté et de la fertilité mentale ». En effet, celui qui s’était défini, avec un demi-sourire, comme « le théoricien du molinarisme » a maintenant du coffre : il ouvre, avec l’aide de Fernande Saint-Martin, la galerie L’Actuelle, consacrée exclusivement à l’art non-figuratif, qui s’avérera l’aventure intellectuelle la plus stimulante de la décennie, malgré la relative brièveté de son existence. (On y présentera notamment des aquarelles de Borduas, exilé à New York.) Juste avant, Molinari était directeur des expositions au restaurant L’Échourie, un autre lieu culte de l’époque, où il connaît sa première exposition individuelle.
En 1955, il participe à Espace 55, la prestigieuse exposition organisée par le mécène Gilles Corbeil au Musée des beaux-arts de Montréal, où il présente six œuvres à propos desquelles Rodolphe de Repentigny, le critique le plus important de son époque, écrit : « Les dessins de Molinari prennent une place à part dans cette exposition ». C’est à cette occasion que Borduas, invité au vernissage par Gilles Corbeil, dévalorisera la peinture de Montréal par comparaison avec celle de New York; suivra un débat entre Borduas et Fernand Leduc, dans lequel le jeune Molinari intervient en faveur de Borduas, avec un texte fameux intitulé « L’Espace tachiste ou Situation de l’automatisme » où il revient sur la filiation Cézanne-Mondrian-Pollock et, surtout, sur l’importance pour tout mouvement de proposer une structure de l’espace pictural. Rappelons aussi que Molinari s’arrête à New York dès 1955, qu’il y est impressionné de voir en personne les œuvres de Kandinsky, Mondrian, Pollock et de Kooning, et qu’il accueillera à L’Actuelle une exposition de peinture américaine, en échange d’une exposition de neuf peintres de L’Actuelle à la Parma Gallery de New York.
La générosité de Molinari apparaît aussi dans sa participation à la création, en 1956, de l’Association des artistes non-figuratifs de Montréal, dont il sera le premier trésorier et dont le seul but est d’organiser des expositions pour ses membres. La première exposition annuelle de l’A.A.N.F.M. se tiendra dans le grand hall du restaurant Hélène de Champlain, qui relève du Service des Parcs de la Ville de Montréal, et Molinari y présentera Abstraction, de 1955, qui deviendra un de ses tableaux fétiches, « remarquable tant par ses dimensions, écrira plus tard Pierre Théberge, que par la clarté de son schéma conceptuel : le noir brillant, loin d’agir comme un trou à l’intérieur de la surface blanche, s’affirme comme couleur et fait tout aussi partie de la surface du tableau que le blanc. Molinari posait l’équivalence spatiale du noir et du blanc, et créait pour lui-même cet équilibre dynamique de la surface qu’avait découvert Mondrian ».
Et l’histoire ne faisait que commencer.
– Gilles Daigneault