Commissaire : Gilles Daigneault
Voici, en guise d’exposition d’ouverture, deux corpus d’œuvres, séparés par une dizaine d’années. À première vue, on dirait de la musique de chambre, à l’étage, et de la musique symphonique, au rez-de-chaussée. Ou encore des créations de jeunesse à côté d’une production de maturité. C’est un peu vrai, encore que…
Rappelons que quinze ans seulement s’écoulent entre les premiers dessins de 1953, qui lorgnent le surréalisme à l’européenne, et les grandes toiles qui viennent de mériter à Molinari le prix de la Fondation David F. Bright, à la 34e Biennale de Venise. C’est dire que le peintre, qu’on considérait déjà comme le chef de file de la peinture abstraite au Canada, était toujours éligible pour participer aux expositions des « moins de 35 », qu’on faisait à l’époque, et qu’on l’aurait peut-être trouvé un peu jeune aujourd’hui pour le prix Sobey. C’est que la précocité de Molinari est proverbiale. Pour mémoire, il a dix-huit ans quand, avec ses tableaux peints dans le noir, il donne aux Automatistes, trois ans après le Refus global, des leçons… d’automatisme véritable. Quatre ans plus tard, cet autodidacte, qui se définit avec un demi-sourire comme « le théoricien du molinarisme », ouvre, avec l’aide de sa compagne Fernande Saint-Martin, la Galerie L’Actuelle, consacrée exclusivement à l’art non-figuratif, qui s’avérera l’aventure intellectuelle la plus stimulante de la décennie. La même année, avec un texte fameux, il intervient dans un débat entre Borduas et Fernand Leduc sur la valeur de la peinture montréalaise en regard de celle de New York. Enfin, il est toujours dans la quarantaine quand il reçoit le prix Paul-Émile-Borduas en 1980.
Aussi, la Fondation s’est-elle mise à l’écoute de l’artiste pour cette première présentation. En effet, les neuf toiles de la grande salle datent de 1964-1968, l’époque choisie par Molinari (et aussi par Bryden Smith de la Galerie nationale du Canada) pour occuper le pavillon canadien à Venise en 1968. C’est la première fois que Molinari, qui se donnait jusqu’ici des échéances très courtes, s’attache à une structure — des séries de bandes verticales identiques faisant office de plans colorés — pendant une aussi longue période (plus de huit ans), et qu’il en joue comme fait un poète ou un musicien, mais surtout comme un peintre fou de couleur. Avec une inépuisable diversité, eu égard à la rigueur de la contrainte qu’il s’impose alors.
Quant aux œuvres sur papier, une discipline moins connue chez Molinari mais remarquablement foisonnante à cette époque (dont nous conservons quelque 800 feuilles), rappelons qu’elles ont fait l’objet des premières expositions de l’artiste à L’Échourie, en 1954, et à Espace 55, au Musée des beaux-arts de Montréal, où elles furent saluées par Rodolphe de Repentigny, le critique le plus important de son temps : « Les dessins de Molinari prennent une place à part dans cette exposition ». Par la suite, une sélection de ces œuvres accompagnera chacune des grandes expositions de Molinari et, au début des années quatre-vingt, l’historien d’art David Burnett leur consacrera une exposition qui marque d’une pierre blanche l’histoire du dessin contemporain au Canada. Pour le moment, nos espaces ne permettent d’en exposer que trente-sept, qui constituent un véritable traité de la discipline, avec en prime trois tableaux fétiches de Molinari, qui jettent un éclairage opportun sur les œuvres graphiques. Et vice versa.
Vues de l’exposition :