Cozic/Moli, les années soixante-dix : Un clin d’oeil complice

25 septembre 2014 au 25 janvier 2015

Quand Cozic commence à montrer son travail, à la fin des années soixante, Molinari nage (encore) dans la gloire. Il rentre tout juste de la 34e Biennale de Venise (1968) où il représentait le Canada, avec son ami Ulysse Comtois, et où ses toiles de 1964–1968 lui ont valu le prix important de la Fondation David F. Bright ; grand boursier de la Fondation Guggenheim, il expose régulièrement à New York en solo depuis 1962, et son tableau Mutation vert-rouge figure en bonne place dans le catalogue de la prestigieuse exposition The Responsive Eye, présentée en 1965 au Museum of Modern Art ; on ne compte plus alors les manifestations de première importance auxquelles il participe ni les prix de toute nature qu’il y décroche. Et il vient d’avoir trente-cinq ans…

Cette gloire, Molinari la doit principalement à ses prises de position radicales. Depuis l’automne 1963, en effet, il réalise à peu près exclusivement des propositions chromatiques qui utilisent des bandes verticales d’égale largeur, ce qui ne donne nullement l’impression de contraindre sa passion de peindre. Au contraire. C’est la première fois qu’il travaille à aussi longue échéance, mais son radicalisme n’est pas sans rappeler celui des tableaux noir‑et‑blanc de 1956, exposés à la galerie L’Actuelle, qui « anticipent de près de dix ans sur le minimal art de New York », comme l’écrira avec sa sagacité habituelle le grand historien d’art Bernard Teyssèdre. Bref, à première vue, rien ne prédispose l’artiste à accueillir favorablement les espiègleries d’un jeune duo contestataire qui peut parfois donner l’impression de s’en prendre au « grand art » de la peinture.

Guido Molinari, Sans titre, 1970, acrylique sur toile
Guido Molinari, Opposition triangulaire #1, 1970, acrylique sur toile, 122 x 122 cm. Photographie – Guy L’Heureux

Mais Molinari est aussi l’auteur de ces petites toiles peintes « à la noirceur », au début des années cinquante, qui hérissaient tant les automatistes. Il se souvient qu’on le traitait volontiers de dadaïste, qu’on n’essayait même pas de comprendre sa production, qu’on le méprisait tout simplement. Aussi, contre toute attente, s’intéresse‑t‑il très tôt à la table des matières, inusitée dans le champ de l’art, de Cozic aussi bien qu’à son propos. Le couple se rappelle encore aujourd’hui l’attitude conviviale de Molinari à leur endroit : « Il était de tous nos vernissages et nous gratifiait alors d’analyses et d’interprétations très constructives. Il a été le premier à commenter nos objets autrement qu’en disant “C’est l’fun !”. Ses avis étaient influents et ont grandement facilité notre intégration dans le milieu de l’art québécois ». Molinari pressent donc que, derrière une façade que l’on ne cesse de qualifier de « ludique », l’entreprise de Cozic rejoint souvent la sienne propre, par l’importance accordée à la structure, à la couleur, à la géométrie, à la notion de série, au temps nécessaire à la perception de l’œuvre d’art, à la participation du spectateur, etc. Mutatis mutandis, bien sûr. De ce point de vue, la série des Surfacentres, qui a été montrée au Musée d’art contemporain de Montréal (du temps où il était à la Cité du Havre), est particulièrement explicite, avec toutes les transgressions que les surfaces faites de tissu imposent à la géométrie. Et vice versa.

Dès la création de la Fondation, nous avions convenu de présenter ces œuvres exemplaires, en résonance avec celles d’un Molinari en transit entre ses bandes verticales et ses Quantificateurs. Un Molinari autre, en apparence plus convivial, dont les principes donnent l’impression de s’assouplir, et qui se redonne des échéances plus courtes. Un Molinari moins affirmatif – si on peut dire ? – qui explore, avec des diagonales, d’autres espaces topologiques en même temps que d’autres gammes chromatiques. En l’occurrence, on voit mieux comment les propositions de Cozic ne visent alors pas tant à contester la peinture qu’à en renouveler le vocabulaire et à en enrichir les enjeux, avec les moyens qui leur sont propres depuis toujours  : ces fameuses matières kitsch qui souvent heurtent le « bon goût » avec leurs couleurs à l’avenant. Reste qu’il faut saluer la perspicacité de Molinari dans l’histoire de Cozic. Il est vrai que, dès la fin des années soixante, le « théoricien du molinarisme » n’en est plus à ses premiers démêlés avec le « bon goût »…

– Gilles Daigneault

Cozic
Quelques mois avant Mai 68, deux jeunes artistes diplômés de l’École des beaux‑arts de Montréal s’unissent pour former une seule entité : Monique Brassard et Yvon Cozic deviennent « Cozic », un créateur bicéphale et quadrumane dont les réalisations protéiformes et atypiques lui ont mérité, près de cinquante années plus tard et après d’innombrables manifestations d’envergure, au Québec et à l’étranger, la prestigieuse Bourse de carrière Jean‑Paul‑Riopelle du Conseil des arts et des lettres du Québec. La Fondation Guido Molinari accueille avec plaisir les propositions les plus formalistes de Cozic et remercie la galerie Graff qui veille, entre autres, à ce que la carrière de ces « doux révolutionnaires » (comme ils se définissent eux-mêmes) n’approche jamais de sa fin.

Consultez le dépliant d’exposition :

Photos du vernissage et vues de l’exposition :

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